Philippe Kenel

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Politique migratoire de la Suisse: l’initiative “contre l’immigration de masse” et sa mise en œuvre
 

Contrairement à toute attente, 50,3% des votants et 15,5 cantons ont accepté le 9 février 2014 l’initiative “contre l’immigration de masse”.

Les règles principales résultant des nouvelles dispositions constitutionnelles (articles 121 a et 197 ch. 9) acceptées par le peuple suisse peuvent être résumées de la manière suivante. Tout d’abord, il appartient à la Suisse de gérer de manière autonome l’immigration des ressortissants étrangers et, par conséquent, de ne pas conclure d’accords internationaux en la matière limitant sa liberté. En second lieu, notre pays doit instaurer un système de plafonds et de contingents annuels concernant toutes les autorisations de séjour et de travail délivrées à des ressortissants étrangers, européens ou non. Ce système de contingentement s’applique à toutes les autorisations de séjour et à tous les permis de travail. Ils visent également les requérants d’asile, les frontaliers et les personnes bénéficiant du regroupement familial. Par ailleurs, les plafonds et les contingents relatifs aux permis de travail doivent être fixés en fonction des intérêts économiques globaux de la Suisse et dans le respect du principe de la préférence nationale. Les critères pour délivrer les autorisations de séjour et les permis de travail doivent notamment être le contenu de la demande d’un employeur, la capacité d’intégration de l’intéressé et sa capacité à disposer de revenus suffisants et autonomes. Enfin, les traités internationaux contraires à ces principes doivent être renégociés et adaptés avant le 9 février 2017. Si avant cette date, les lois nécessaires à la mise en œuvre de ces nouveaux principes ne sont pas entrées en vigueur, il appartiendra au Conseil fédéral d’édicter des règles provisoires par voie d’ordonnance.

Dans un blog du 28 février 2014 (Dis fiston, ce sera comment après?), j’avais proposé afin de trouver un système qui soit à la fois eurocompatible et respecte la volonté du peuple suisse que notre pays s’engage à l’égard de l’Union européenne (UE) à ce que le nombre de permis disponibles pour les ressortissants européens ne soit pas inférieur à la moyenne du nombre de ressortissants européens ayant recours chaque année à la libre circulation des personnes au sein de l’UE. Par exemple, si, par hypothèse, l’UE comptait 1 million d’habitants et que 20’000 personnes se déplacent chaque année en son sein dans le cadre de la libre circulation des personnes, soit 2% de la population, les contingents helvétiques destinés aux ressortissants européens ne devraient pas être inférieurs au 2% de la population vivant en Suisse.

Le parlement helvétique n’est pas allé dans cette direction et a adopté un ensemble de dispositions légales comprenant un volet “Intégration” et un volet “Gestion de l’immigration”, ce dernier étant fréquemment qualifié de “préférence indigène light”. La principale nouveauté de ce système est l’obligation faite aux employeurs d’annoncer leurs postes vacants aux services publics de l’emploi compétents.

Est-ce que la mise en œuvre par le parlement de l’initiative “contre l’immigration de masse” respecte la volonté populaire? Même si j’étais farouchement opposé à cette initiative, il faut être honnête et répondre par la négative. Cependant, le processus de mise en œuvre de l’initiative acceptée par le peuple suisse le 9 février 2014 a mis en exergue le fait que la démocratie directe à la sauce suisse est plus subtile que ce qu’il n’y paraît. En effet, vu qu’il n’existe pas au niveau fédéral d’initiative législative, mais uniquement constitutionnelle, il appartient au parlement, sur proposition du Conseil fédéral, de mettre en œuvre les décisions populaires. Par conséquent, alors que chez la plupart de nos voisins, le système est un ménage à deux composé du parlement et du gouvernement, notre pays n’est pas, comme d’aucuns le prétendent, un vieux célibataire composé du seul peuple, mais un ménage à trois où gouvernement, parlement et citoyens cohabitent.

J’ose espérer que le peuple suisse dira clairement non le 27 septembre à l’initiative populaire “pour une immigration modérée (initiative de limitation)” et mettra, dans une certaine mesure, fin au blochérisme. Si tel n’est pas le cas, le Conseil fédéral et le parlement devront se lancer dans une nouvelle partie d’équilibristes non seulement sur le plan interne, mais également avec l’UE.

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