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Bilatérales I : 15 ans déjà !

Mis en ligne le 18.05.2015 à 15:51

© Keystone



Philippe Kenel

Il y a 15 ans, le 21 mai 2000, le peuple suisse acceptait par une majorité de 67,2% les accords bilatéraux I. Concernant sept secteurs, ils portaient essentiellement sur l’introduction progressive de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne. Mise à mal par la votation du 9 février 2014 « contre l’immigration de masse », une des questions essentielles qui se pose est de savoir si le temps joue en faveur des partisans ou des opposants à la libre circulation des personnes, et, par conséquent, aux relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne.

Avant d’aborder cette question, il me paraît important de faire quelques remarques sur les conséquences de la votation du 21 mai 2000.

Tout d’abord, l’introduction de la libre circulation des personnes a été l’une des clés de voûte de la réussite économique de la Suisse au début du deuxième millénaire. Elle a permis aux entreprises existantes de trouver le personnel leur permettant de se développer. De même, elle a encouragé de nouvelles entreprises étrangères à venir s’installer dans notre pays.

En second lieu, et ceci est sans doute l’une des plus grandes difficultés que nous rencontrons actuellement, le fait que la libre circulation des personnes soit l’un des sujets les plus importants faisant l’objet des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne a créé un lien très étroit entre la question de nos relations avec l’Union européenne et celle de l’immigration. Cela a permis à l’UDC de créer un lien quasi automatique entre Europe et immigration. La campagne sur la votation du 9 février 2014 en est une parfaite illustration. Cette connexité entre immigration et relations bilatérales est d’autant plus néfaste lorsque l’on sait que la montée du nationalisme et du populisme en Europe repose essentiellement sur l’europhobie et la peur de l’immigration.

Enfin, à l’heure où d’aucuns sont prêts à casser le jouet, il sied de souligner que la Suisse a obtenu énormément de la part de l’Union européenne dans le cadre de la négociation des sept accords composant les bilatérales I. Sans faire de la politique fiction, on peut affirmer que la Suisse n’obtiendrait jamais aujourd’hui ce qu’elle a obtenu à l’époque. Outre la qualité de nos négociateurs, ces résultats très favorables à la Suisse sont notamment dus au fait qu’à l’époque l’Union européenne était convaincue, conviction qu’elle n’a plus à juste titre, que notre pays adhérerait à court ou moyen terme.

A l’heure où chacun y va de sa solution pour mettre en œuvre l’initiative « contre l’immigration de masse » de manière euro compatible, une des questions essentielles est de savoir en faveur de qui joue le temps. En d’autres termes, si l’on veut sauver les relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne, est-il préférable de temporiser ou d’organiser rapidement une nouvelle votation ?

Étant admis que nouvelle votation il y aura, les paramètres à prendre en considération pour répondre à cette question sont les suivants.

Tout d’abord, l’une des clés de la stratégie des opposants aux relations entre la Suisse et l’Union européenne qui, permettez-moi de le rappeler, étaient leurs grands partisans à l’époque où il s’agissait de s’opposer à la participation de la Suisse à l’Espace Economique Européen, est d’avoir ou de créer un ennemi invisible, voire imaginaire. Cela leur permet, et certains le font à merveille, de jouer dans la sphère de l’irrationnel du citoyen helvétique. En revanche, les partisans des relations entre la Suisse et l’Union européenne doivent, tout en démystifiant les peurs créées par leurs opposants, travailler dans le domaine du rationnel en démontrant par a + b les qualités du projet qu’ils défendent. Or, nous nous retrouvons aujourd’hui dans la situation où tout le monde sait qu’une votation aura lieu à court ou moyen terme, mais personne ne sait exactement sur quoi. En d’autres termes, en annonçant une votation sans en donner le contenu, le Conseil fédéral a offert sur un plateau aux opposants, notamment à l’UDC, le fameux ennemi invisible en ne fournissant pas aux partisans la matière permettant de se défendre. Christophe Blocher ne s’y est pas trompé en démissionnant du Conseil national pour se consacrer exclusivement à cette nouvelle cause. Par conséquent, sachant qu’il s’agira d’une campagne où il y aura lieu de savoir convaincre, il est primordial que le Conseil fédéral, peu importe que la votation ait lieu dans un, deux ou trois ans, en détermine le contenu. Seule cette manière de faire permettra aux partisans de rentrer dans l’arène et de faire valoir leurs arguments. Plus il attend, plus il laisse le champ libre aux opposants en leur offrant, ce qui est du pain rêvé pour eux, comme seul contradicteur les partisans de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne.

En second lieu, je suis toujours parti de l’hypothèse que les ennuis viennent rarement de là où on les attend. Or, malheureusement, je crains que cette manière de voir ne se confirme une nouvelle fois. En effet, comme je l’ai mentionné ci-dessus, l’une des forces des opposants est de pouvoir faire un lien très étroit entre les relations entre la Suisse et l’Union européenne et la question de l’immigration. Ceci dit, jusqu’à ce jour, la question s’est limitée à la libre circulation des personnes entre l’Union européenne et notre pays, à l’exclusion des politiques migratoires en matière d’asile et à l’égard des Etats tiers. Or, la question des réfugiés du Moyen-Orient a poussé l’Union européenne à s’attaquer à ces deux questions. Le risque est que les opposants puissent ajouter dans leur escarcelle pour effrayer la population suisse la question des réfugiés et de l’immigration des Etats tiers. En votant trop tard, le Conseil fédéral risque de devoir rassurer la population non seulement sur la question de la libre circulation des personnes, mais également sur les deux autres sujets.

Enfin, il est loisible de se poser la question de savoir si la question des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne sous la forme actuelle sera toujours à l’ordre du jour dans quelques années. Comme ce fut le cas pour l’Espace Economique Européen, ce sujet sera peut-être bientôt dépassé. Cela signifierait et ce serait sans doute la pire des hypothèses pour notre pays, que le seul objet sur lequel il y aurait lieu de voter serait l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne. En attendant trop, le Conseil fédéral prend ce risque. Or, c’est exactement ce qu’attendent les opposants et, évidemment, les partisans de cette solution, auxquels je n’appartiens pas.

Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de distinguer entre l’objet de la votation et la date de celle-ci. Il est impératif de déterminer au plus vite l’objet sur lequel les citoyens suisses seront appelés à voter afin que les partisans des relations bilatérales entre la Suisse et l’Union européenne puissent défendre le projet et ne pas laisser le champ libre aux opposants. Quant à la date à laquelle les Suisses seront appelés à se prononcer, je pense qu’il ne sert à rien d’attendre dans la mesure où des sujets imprévus pourraient s’inviter au débat et qu’en attendant trop la Suisse pourrait laisser passer l’occasion de figer ses relations avec l’Union européenne.

Lire aussi: Suisse-UE: quinze mois plus tard, par Chantal Tauxe


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