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Monsieur le Président, respectez les engagements de la France !

Mis en ligne le 14.04.2015 à 17:11

Philippe Kenel

A l’occasion de la visite du Président français en Suisse, je suis très heureux de constater que les relations entre nos deux pays se sont apaisées et que, selon le gouvernement français lui-même, cela est en grande partie dû au fait que la Suisse a accepté de passer à l’échange automatique d’informations. En d’autres termes, nos relations se sont améliorées car la Suisse a renoncé à permettre aux ressortissants français de violer le droit de l’Hexagone en dissimulant leurs avoirs dans les banques helvétiques.

Si les relations entre nos deux pays se sont réchauffées en raison du fait que la Suisse ne permet plus aux ressortissants français de violer leurs obligations fiscales, on est en droit d’attendre du gouvernement français, et évidemment de son président, de faire en sorte qu’ils respectent les engagements pris par leur pays à notre égard.

Or, tel n’est pas le cas concernant l’application de la convention de double imposition aux personnes imposées d’après la dépense en Suisse. Le problème peut être résumé de la manière suivante. Le 9 septembre 1966, la Suisse et la France ont conclu une nouvelle convention de double imposition dont l’article 4 par. 6 lit. b stipule que n’est pas considérée comme résident d’un Etat contractant au sens de la convention « une personne physique qui n’est imposable dans cet Etat que sur une base forfaitaire déterminée d’après la valeur locative de la ou des résidences qu’elle possède sur le territoire de cet Etat ». Alors qu’il résulte clairement des travaux préparatoires et du message du Conseil fédéral de l’époque que cette disposition ne concerne absolument pas les personnes imposées d’après la dépense en Suisse mais l’imposition de manière forfaitaire en France d’une personne non domiciliée en France qui est propriétaire d’un bien immobilier, la Suisse a, par erreur, accepté en 1967 de se lancer dans une procédure à l’amiable avec nos voisins concernant la question de l’application de la convention de double imposition à ce type de contribuables. Il en est résulté la notion de « forfait majoré » selon laquelle un contribuable imposé d’après la dépense en Suisse peut bénéficier de la convention de double imposition à la condition que le montant de ses dépenses soit majoré d’environ 30%.

Il importe de souligner que le forfait majoré n’est pas une fleur faite par la France à la Suisse, mais bien une fleur faite par la Suisse à la France. En effet, outre le fait qu’une étude historique démontre clairement que l’article 4 par. 6 lit. b de la convention de double imposition ne concerne absolument pas les personnes imposées d’après la dépense, ceci est également corroboré par une étude juridique de cet article. D’une part, une personne imposée d’après la dépense en Suisse paie ses impôts, comme le nom de cette forme d’imposition l’indique, non pas sur un montant déterminé par rapport à la valeur locative de son bien immobilier, mais sur la base de ses dépenses et de celles de sa famille. La valeur locative du logement occupé par le contribuable entre uniquement en considération pour fixer le plancher des dépenses qui ne doit pas être inférieur au quintuple, et dès le 1er janvier 2016 au septuple, de la valeur locative du logement occupé par le contribuable. D’autre part, même si, de manière tout à fait erronée, il y avait lieu d’admettre que le simple fait que la notion de valeur locative entre en ligne de compte pour la détermination du seuil minimum des dépenses fait que l’article 4 par. 6 lit. b s’applique à l’imposition d’après la dépense, il sied de mentionner que cette disposition exclut du champ d’application de la convention uniquement une personne physique qui n’est imposable « que sur une base forfaitaire déterminée d’après la valeur locative ». Or, une personne imposée d’après la dépense en Suisse n’est pas imposée « que sur ses dépenses dont le montant minimum est déterminé par la valeur locative du bien loué ou acheté, mais également sur de nombreux autres éléments (fortune mobilière suisse et ses revenus, fortune immobilière suisse et ses revenus etc.) entrant en considération dans un calcul de contrôle. Par ailleurs, le nouveau droit voté par le parlement le 28 septembre 2012 exige que les cantons imposent la fortune du contribuable. Je tiens à préciser que cette analyse juridique est partagée par de nombreux avocats et juristes français dont Jérôme Queyroux, associé du célèbre cabinet d’avocats Francis Lefebvre avec lequel j’ai écrit un article sur le sujet en 2013 dans la revue Notalex. Elle l’est également par Mme la Conseillère fédérale Evelyne Widmer-Schlumpf qui en date du 15 février 2013 m’écrivait ce qui suit : « Votre analyse portant sur la nouvelle interprétation donnée par la France à l’art. 4, par. 6, let. b) de la convention de 1966 confirme la lecture faite par mes services. (…) Lors des discussions à venir dans le cadre du dialogue fiscal avec la France, il s’agira de lever les incompréhensions qui ont pu venir à jour afin de trouver une solution satisfaisante, laquelle demeure à l’heure actuelle encore ouverte. ».

Or, malgré le texte clair de l’article 4 par. 6 lit. b de la convention franco-suisse, malgré la fleur faite par notre pays à la France en 1967 en introduisant la notion de forfait majoré dans le cadre d’une procédure amiable, le gouvernement français a unilatéralement décidé le 26 décembre 2012 que la convention de double imposition ne s’appliquerait plus aux personnes imposées d’après la dépense à partir du 1er janvier 2013. Ceci est un acte à la fois illégal et inamical de la part d’un Etat se prétendant ami. La décision française est à ce point inadmissible que les autorités fiscales suisses continuent, de leur côté, malgré la décision française, de considérer que la convention de double imposition s’applique aux personnes imposées d’après la dépense bénéficiant d’un forfait majoré.

Par conséquent, le contribuable imposé d’après la dépense se retrouve dans la situation schizophrénique où, d’un côté, la France ne lui reconnaît plus l’application de la convention de double imposition et, d’un autre côté, les autorités suisses lui délivrent des attestations selon lesquelles il est domicilié en Suisse au sens de la convention.

Par soucis de sécurité du droit et de bon voisinage, il est urgent que l’on sorte de cette situation. Je demande au Président français de reconnaître, afin de respecter la légalité et les engagements de son pays, que les personnes imposées d’après la dépense en Suisse payant un forfait majoré bénéficient de la convention.

A l’heure où Président et gouvernement français sont reconnaissants à la Suisse de ne plus accueillir l’argent non déclaré de leurs contribuables, il est grand temps qu’eux aussi cessent de violer les engagements internationaux de leur pays.


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