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France : une justice partisane

Mis en ligne le 29.07.2014 à 11:10

Philippe Kenel

Le mercredi 23 juillet 2014, UBS a été mise en examen par la justice française pour blanchiment aggravé de fraude fiscale. Cette décision suscite de ma part les commentaires suivants.

1. Cette décision confirme que la justice française ne reproche pas uniquement à la filiale française d’UBS d’avoir aidé des ressortissants français à placer de l’argent non déclaré en Suisse, mais s’en prend à la maison mère elle-même pour avoir démarché depuis la Suisse des clients domiciliés en France. Sur ce point, il y a lieu d’être tout à fait clair. Toutes les banques suisses ainsi que toutes les banques étrangères en Suisse ont durant des années agi de la sorte dans la majorité des Etats européens. Par conséquent, si la nouvelle politique de la justice française est de s’en prendre à ces pratiques, il y a lieu de s’attendre à ce que d’autres banques soient visées par ces procédures judiciaires. Même si, sur le plan juridique, ces pratiques n’étaient pas légales, ce qui me dérange personnellement est qu’elles ont été durant des années connues et tolérées. Personne ne pourra me convaincre que le Président Sarkozy, lui-même avocat ayant comme clients des français fortunés, pouvait les ignorer. Est-il vraiment équitable de s’attaquer à des pratiques passées, même illicites, sur lesquelles on a fermé les yeux ?

2. La vraie surprise, en tout cas pour certains, de la décision du 23 juillet 2014 est le montant de CHF 1,3 milliard de la caution qui laisse augurer la somme de l’amende réclamée par la justice française à l’UBS. Je ne jette la pierre ni aux autorités helvétiques, ni aux associations officielles bancaires, dans la mesure où je ne sais pas si ces dernières ont tenté ou non de trouver un accord avec les Etats étrangers portant notamment sur le fait que les banques helvétiques ne seraient pas poursuivies pénalement. Cependant, depuis plus d’une année (voir mon blog du 14.06.13 intitulé : « Comment régulariser le passé ? »), je dis et écris urbi et orbi que les banques suisses auront sans doute les moyens de payer une amende aux Etats-Unis, mais qu’elles ne pourront pas faire face à de tels engagements à l’égard de chaque grand pays européen et que, par conséquent, il est impératif de trouver un accord avec chacun d’entre eux. J’ai l’impression que les milieux officiels ont sous-estimé la force de frappe des arsenaux pénaux européens en se disant que seuls les Etats-Unis étaient capables de frapper si fort et de condamner nos établissements bancaires à des amendes si élevées. J’espère que tel n’est pas le cas, mais j’avoue, ne jamais avoir vu dans le résumé des négociations avec nos Etats voisins, dont la France, la trace de telles démarches.

3. L’attitude de la justice française démontre que, sur le plan mondial, commence à se mettre sur pied ce que je qualifierai de « méthode UBS ». Celle-ci consiste à s’attaquer dans un premier temps à l’UBS, à créer une jurisprudence UBS et, ensuite, sur cette base-là, à s’en prendre aux autres banques helvétiques. L’UBS est une cible privilégiée pour deux raisons. D’une part, il ne faut pas oublier, et sur ce point, il y a lieu de rendre hommage à M. Ospel, que l’UBS au début des années 2000 a été la seule banque helvétique à comprendre et à avoir les moyens de développer une réelle politique onshore en créant des établissements bancaires à l’étranger destinés à la clientèle locale voulant faire gérer son argent déclaré. Par conséquent, il est plus facile de s’en prendre à l’UBS, car elle a déjà une entité sur place. D’autre part, l’UBS a le mérite aux yeux des détracteurs de notre pays d’en être un symbole.

4. Ce qui est choquant et inéquitable dans l’attitude de la justice française est que, si elle considère que l’UBS est une proie plus facile dans la mesure où elle est présente physiquement en France, il est incompréhensible et inadmissible qu’elle ne s’en prenne pas également, voire avant tout, aux banques françaises qui ont créé en Suisse des filiales pour gérer de l’argent non déclaré français, belge et, de manière générale, européen. Evidemment, il est plus dérangeant de s’en prendre à ses propres établissements bancaires qui le plus souvent sont dirigés par des petits copains et que l’on ne veut surtout pas affaiblir économiquement. Cette attitude qui fait perdre son honneur à la justice française est corroborée par la volonté de la France de ne pas trouver un accord avec l’UBS. Ceci diverge fondamentalement de la position allemande qui a trouvé ce matin même un accord avec cette banque.

Cette attitude très différente des autorités françaises et allemandes n’est peut-être que la pointe de l’iceberg. Elle démontre que les Allemands souhaitent prendre les choses en main, régler le passé et se tourner vers le futur. En revanche, la position française semble indiquer que l’on préfère fermer les yeux sur les problèmes réels et tenter de grappiller quelques voix en pratiquant le Swiss-bashing.
 


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