Kenel de Requin
Le permis C au centre des débats
Philippe Kenel
L’autorisation d’établissement, appelée également permis C, par opposition à l’autorisation de séjour, dénommée permis B, a été au centre des débats au courant de la semaine passée. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me paraît important de rappeler ce qu’est un permis C. De manière générale, lorsqu’un ressortissant étranger, européen ou non, prend domicile en Suisse, soit pour y travailler, soit pour y résider sans exercer d’activité lucrative, il est mis au bénéfice d’un permis B. Ce type de permis se distingue de plusieurs types d’autorisations de séjour ou de travail, telle l’autorisation pour études, qui sont des permis de nature temporaire.
En principe, l’autorisation d’établissement est octroyée à un ressortissant étranger qui satisfait deux conditions concernant la durée de son séjour:
- d’une part, il doit avoir séjourné en Suisse au moins dix ans au bénéfice d’une autorisation de courte durée ou d’un permis B;
- d’autre part, il doit avoir séjourné les dernières années de manière ininterrompue avec un permis B.
Concernant un certain nombre de ressortissants étrangers, dont les Européens, seule la deuxième condition s’applique. Deux conséquences essentielles résultent des règles mentionnées ci-dessus. Tout d’abord, mise à part dans un certain de nombre de cas très rares et très particuliers, on n’obtient jamais un permis C à son arrivée en Suisse. Qu’il soit européen ou non, un ressortissant étranger doit obtenir un permis B avant qu’un permis C lui soit délivré. Par exemple, une personne de nationalité étrangère ne peut pas obtenir un permis C uniquement après avoir été au bénéfice d’un permis pour études pendant dix ans. En second lieu, les permis B feront l’objet d’un contingentement dans le cadre de la mise en application de l’initiative «contre l’immigration de masse».
Le permis C a été sous les feux de l’actualité à un double titre.
Tout d’abord, dans sa stratégie de mise en œuvre de l’initiative «contre l’immigration de masse» dévoilée le 20 juin, le Conseil fédéral semble vouloir soumettre au système de contingentement l’octroi d’une autorisation d’établissement. Cette manière de procéder me paraît totalement erronée. En effet, comme je l’ai mentionné ci-dessus, ce type de permis est octroyé uniquement à des ressortissants étrangers qui ont déjà été au bénéfice d’un permis B, soumis lui-même au contingentement, durant un certain nombre d’années. Soumettre l’octroi du permis C au système du contingentement revient à soumettre le cas d’un ressortissant étranger désireux d’obtenir un permis C à un double contingentement, une fois lors de l’octroi du permis B, et une seconde fois lors de la délivrance de l’autorisation d’établissement. À l’heure où les milieux économiques ont déjà de grandes craintes en raison du système de contingentement instauré par la décision populaire du 9 février 2014, ce n’est vraiment pas le moment de créer le système du double contingentement qui lui va clairement au-delà du texte de l’initiative!
En second lieu, le Conseil des Etats et le Conseil national se sont entredéchirés sur la question de savoir si alors que le délai actuel est de douze ans, un ressortissant étranger pourra demander sa naturalisation helvétique après un délai de huit ou dix ans. Ce n’est que la semaine passée qu’un compromis a été trouvé. Or, à ma grande surprise, et je ne suis pas sûr que nos parlementaires aient eu conscience des conséquences exactes de cette exigence, aussi bien la droite que la gauche, ont admis qu’à l’avenir seuls les bénéficiaires d’un permis C pourraient obtenir la nationalité suisse. Cette modification de la loi est un durcissement très important par rapport à la situation actuelle puisque, aujourd’hui, même le titulaire d’une autorisation de séjour pour études peut obtenir la nationalité suisse. Une brève étude historique permet de mettre en exergue le caractère fâcheux de cette exigence.
Jusqu’au début des années 90, seuls pouvaient obtenir la nationalité suisse les ressortissants étrangers au bénéfice d’un permis B, soit d’une autorisation de séjour ouvrant la voie, comme je l’ai expliqué ci-dessus, à l’octroi d’un permis C. Constatant que ce système revenait à gaspiller des unités du contingent des permis B dans la mesure où une personne souhaitant demander la nationalité suisse demandait, auparavant, un permis B nécessitant l’octroi d’une unité sur le contingent, unité gaspillée, puisque deux ou trois ans après, soit à l’issue de la procédure de naturalisation, l’intéressé n’avait plus besoin de son permis B, puisqu’il était devenu suisse, le Parlement a décidé d’assouplir cette exigence. Il a en effet décidé qu’il serait à l’avenir possible d’obtenir la nationalité suisse en étant titulaire d’une autorisation de séjour même si celle-ci n’ouvrait pas la voie au permis C, telle une autorisation de séjour pour études. Cette règle a permis à de nombreux étudiants étrangers s’étant formés dans notre pays d’y rester pour y travailler ce qui a permis à l’économie helvétique de bénéficier de leur formation. Or, aujourd’hui, non seulement le Parlement a remis cette règle en cause, mais il est allé bien au-delà en exigeant l’octroi d’un permis C. Si l’on met en rapport cette nouvelle condition pour l’acquisition de la nationalité suisse avec la position du Conseil fédéral du 20 juin 2014 mentionnée ci-dessus soumettant l’octroi d’un tel permis C à un contingentement, cela signifierait que le ressortissant étranger qui souhaite acquérir la nationalité suisse devra dans un premier temps obtenir un permis B, soumis à un premier contingentement, puis un permis C, soumis à second contingentement. Il y a lieu d’insister sur le fait qu’un étudiant sortant de l’université et de l’EPFL qui souhaite obtenir un permis B pour travailler dans notre pays doit déjà faire face à un mur très difficilement franchissable dans la mesure où il n’est, par définition, au bénéfice d’aucune expérience.
Le monde politique doit comprendre qu’en devant réinstaurer le système du contingentement, nous sommes revenus à une époque où les entreprises se feront une très dure concurrence pour obtenir une unité du contingent. Par conséquent, il y a désormais lieu de légiférer en trouvant des niches, tel l’octroi du permis C ou l’acquisition de la nationalité suisse, pour permettre à des personnes qualifiées de travailler auprès de nos entreprises sans passer par le contingentement, et non pas en créant des systèmes de double contingentement ou en prévoyant des règles où les unités des contingents sont galvaudées.
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