Kenel de Requin
Dis papa, c’était comment avant ?
Philippe Kenel
- Avant quoi ?
- Mais avant l’entrée en vigueur de la libre circulation des personnes en juin 2002 ! Tu sais papa, tu devrais lire l’Hebdo.
Introduction
Alors que je rédigeais dans les années 80 ma thèse consacrée à la responsabilité pénale des personnes morales en droit anglais, j’ai travaillé pendant une année et demie à mi-temps à l’Office cantonal de contrôle des habitants et de police des étrangers à Lausanne remplacé aujourd’hui par le Service de la population. À la même époque, j’ai notamment écrit un ouvrage consacré aux permis de travail (1) et une contribution sur les conséquences de l’intégration européenne de la Suisse sur sa politique en matière de main d’œuvre étrangère (2).
Suite à l’acceptation par le peuple suisse de l’initiative contre l’immigration de masse remettant en cause la libre circulation des personnes avec l’Union européenne entrée en vigueur au mois de juin 2002, il me paraît important de rappeler les principales règles qui régissaient l’octroi des autorisations de séjour et des permis de travail avant cette date.
Les sources légales
Les deux principales sources législatives applicables à la matière étaient la Loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) et l’Ordonnance limitant le nombre des étrangers du 6 octobre 1986 (OLE).
Bien que la Suisse ait signé un certain nombre de traités internationaux en la matière, notamment avec les Etats dont l’immigration était la plus importante (Espagne, France et Italie), ceux-ci étaient interprétés de manière très restrictive par le Tribunal fédéral.
Les caractéristiques du droit de l’époque
Les principales caractéristiques du droit suisse de l’époque peuvent être résumées ainsi :
a. Sous réserve de rares exceptions résultant d’accords internationaux, la Suisse n’accordait aucun droit à l’obtention d’une autorisation de séjour ou d’un permis de travail. Dans l’exercice de leur liberté d’appréciation, les autorités administratives devaient tenir compte des intérêts moraux et économiques du pays ainsi que du degré de surpopulation étrangère.
b. La législation énumérait de manière exhaustive les types de permis. Les principaux qui autorisaient leur titulaire à exercer une activité lucrative en Suisse étaient les suivants : l’autorisation annuelle ; l’autorisation saisonnière ; l’autorisation de courte durée ; l’autorisation pour stagiaires ; l’autorisation frontalière. Seuls pouvaient séjourner en Suisse sans y travailler les titulaires d’une autorisation de séjour pour écoliers, pour étudiants, pour curistes ou pour rentiers.
c. Certains permis de travail faisaient l’objet d’un contingentement. Chaque année, pour la période allant du 1er novembre au 31 octobre de l’année suivante, le Conseil fédéral fixait dans l’OLE le nombre de nouvelles autorisations de travail annuelles, saisonnières et de courte durée qui pouvaient être délivrées par les cantons et par les autorités fédérales. Par exemple, pour la période allant du 1er novembre 1999 au 31 octobre 2000, le canton de Vaud disposait de 994 unités et celui de Genève de 748 unités pour les permis de travail annuels. Quant au contingent fédéral réservé à des entreprises ou à des activités particulières, il s’élevait à 5'000 unités pour toute la Suisse. Concernant les permis de travail pour stagiaires, ils faisaient l’objet d’un contingent figurant dans l’accord conclu entre la Suisse et l’Etat dont était originaire le stagiaire. À titre d’exemple, le contingent annuel s’élevait à 500 unités dans les accords conclus par notre pays avec l’Allemagne et la France. Il importe de mettre en exergue que les permis frontaliers de même que toutes les autorisations de séjour ne faisaient l’objet d’aucun contingentement. Il en allait de même des permis de séjour ou de travail délivrés à des requérants d’asile ou à des réfugiés.
Les conditions à l’obtention d’un permis de travail
L’octroi d’un permis de travail était soumis aux trois conditions suivantes :
1. Il appartenait à l’employeur de prouver qu’il n’avait pas trouvé un travailleur disposant déjà d’un permis de travail en Suisse ayant les capacités et le souhait d’occuper le poste proposé aux conditions de travail et de rémunération usuelles de la branche et du lieu.
2. Sous réserve de certaines exceptions, notamment celles des personnes hautement qualifiées, une autorisation de travail pouvait être accordée uniquement aux travailleurs ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne ou de l’Association européenne de libre échange. En pratique, les autorités accordaient également des autorisations de travail aux personnes provenant de l’Amérique du Nord.
3. L’employeur devait accorder aux travailleurs les mêmes conditions de rémunération et de travail que celles qui se pratiquaient dans la localité et la profession et qui seraient offertes à un Suisse
Les différents types de permis de travail
De manière générale, un employeur qui souhaitait engager une personne étrangère à long terme sollicitait un permis de travail annuel appelé également permis B. En cas d’engagement pour une période limitée, l’employeur pouvait requérir soit un permis de courte durée valable selon les cas pour une période de 6 à 18 mois, soit un permis non contingenté valable 4 mois ou 120 jours pouvant être répartis sur toute une année.
La réglementation relative à deux types de permis mérite une attention particulière.
L’autorisation saisonnière permettait à un ressortissant étranger de travailler en Suisse au maximum 9 mois par année à la double condition que l’entreprise ainsi que l’activité du travailleur aient un caractère saisonnier. Les entreprises saisonnières étaient essentiellement celles appartenant au domaine de la construction, de l’hôtellerie et de la restauration. Un saisonnier n’avait pas le droit de faire venir sa famille en Suisse et il devait séjourner au total 3 mois par année civile à l’étranger. Cela signifiait qu’une fois son autorisation de 9 mois arrivée à échéance, il avait l’obligation de quitter la Suisse. Un ressortissant étranger ayant travaillé en Suisse comme saisonnier pendant 36 mois au total au cours des 4 dernières années consécutives pouvait obtenir un permis B identique à celui décrit ci-dessus sans qu’une unité ne doive être prélevée sur le contingent. Cette transformation de l’autorisation saisonnière en autorisation à l’année, appelée également stabilisation, permettait après 4 ans au saisonnier de faire venir sa famille en Suisse.
Outre le fait que l’autorisation frontalière ne faisait pas l’objet d’un contingentement, il importe d’en rappeler les conditions de l’époque. Son octroi était soumis aux quatre exigences suivantes : en principe, le frontalier devait avoir la nationalité de l’un des Etats voisins de la Suisse ; l’intéressé et l’entreprise devaient se situer dans des zones frontalières l’une par rapport à l’autre (concernant le canton de Vaud, il s’agissait d’une zone de 10 km de part et d’autre de la frontière, les Gets étant, par conséquent, frontaliers par rapport à Dully, mais non pas par rapport à l’Abbaye) ; le frontalier devait être domicilié 6 mois au moins dans la zone frontalière avant de solliciter une autorisation ; il devait retourner chaque jour à son domicile.
Le regroupement familial
Seuls les titulaires d’une autorisation annuelle (permis B) pouvaient faire bénéficier leur famille du regroupement familial. Seuls pouvaient venir en Suisse à ce titre le conjoint du titulaire de l’autorisation ainsi que ses enfants célibataires âgés de moins de 18 ans (l’âge minimum était de 20 ans pour les Espagnols, les Italiens et les Portugais) dont il avait la charge.
Conclusion
Voilà les règles qui s’appliquaient aux ressortissants étrangers qui souhaitaient venir séjourner ou travailler en Suisse avant le mois de juin 2002. Je présenterai la semaine prochaine les modifications apportées par ce système suite à l’entrée en vigueur, à cette date, de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne.
(1) Le droit suisse de la police des étrangers, pp. 1-180, in La main-d’œuvre étrangère, Lausanne, 1989 (mises à jour annuelles de 1990 à 2001)
(2) Les conséquences de l'intégration européenne sur la politique suisse en matière de main-d’œuvre étrangère, pp. 131-138, in La Suisse et son avenir européen, Lausanne 1989
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