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Kenel de Requin
Le Lucky Luke de la politique helvétique rate la cible
Philippe Kenel
Christian Levrat applique à merveille la stratégie consistant à tirer le premier afin de ne pas se faire tuer. On pourrait l’appeler le Lucky Luke de la politique helvétique.
Dans le cadre de l’initiative contre l’immigration de masse il a appliqué cette stratégie à un double titre.
Tout d’abord, le président du parti socialiste est tout à fait conscient qu’il a commis une énorme erreur, il y a quelques mois, en menaçant de ne pas s’opposer aux initiatives relatives à la libre circulation des personnes si des mesures d’accompagnement plus strictes n’étaient pas adoptées immédiatement. Il a joué avec des allumettes et il a mis le feu à la baraque. Conscient qu’il serait le coupable tout désigné en cas d’acceptation de l’initiative le 9 février, il s’est empressé, dès la parution des derniers sondages qui laissaient présager un oui dans les urnes, d’ouvrir le feu sur economiesuisse en attaquant la manière avec laquelle elle avait fait campagne.
En second lieu, suite au verdict populaire, Christian Levrat s’est fendu d’un article dans le Temps du mercredi 12 février 2014 dans lequel il soutient, en résumé, qu’en acceptant l’initiative de l’UDC le peuple suisse a dit oui au programme du parti socialiste. Autant son tir contre economiesuisse tenait de la fine gâchette, autant ses dix propositions contenues dans l’article du Temps tiennent plutôt du pistolet à eau.
Dans sa cinquième proposition ayant trait à l’impôt d’après la dépense, Christian Levrat écrit ce qui suit: «Les forfaits fiscaux pour étrangers sont immédiatement abolis dans l’ensemble de la Suisse. Ils contribuent à augmenter le nombre d’échanges étrangers oisifs résidant dans notre pays et discriminent clairement les contribuables suisses». Le lien fait entre l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse et la suppression de l’imposition d’après la dépense n’a pas de sens, ou du moins, pas celui souhaité par Christian Levrat.
D’une part, mis à part le canton du Tessin qui est un cas tout à fait particulier, tous les cantons qui accueillent la très grande majorité des personnes imposées d’après la dépense ont rejeté, relativement massivement, l’initiative de l’UDC. Il n’existe par conséquent aucun rejet des personnes fortunées étrangères dans les cantons où elles résident. En second lieu, en souhaitant contrôler les flux migratoires, les Suisses n’ont pas dit non aux ressortissants étrangers qui leur apportent de la richesse, mais ont dit non à ceux qui leur coûtent. Pour reprendre l’expression de Christian Levrat, les Suisses n’ont pas dit non aux 5'500 «oisifs» qui rapportent annuellement à la Suisse plus de 700 millions d’impôts et qui dépensent plus d’un milliard de francs, mais aux «oisifs» (je n’aime pas ce terme) qui coûtent à l’Etat et aux citoyens suisses. Par conséquent, si, comme le fait le président du parti socialiste, on veut faire un lien entre le vote de dimanche et l’imposition d’après la dépense, c’est plutôt un oui à cette forme d’imposition que les Helvètes ont mis dans l’urne.
Christian Levrat étant un garçon intelligent, il est loisible de se demander pourquoi il demande la suppression immédiate de l’imposition d’après la dépense alors que cette question fera notamment l’objet d’une votation qui aura lieu au mois de septembre ou novembre 2014. La réponse est simple. Il est tout à fait conscient que l’initiative «Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires (Abolition des forfaits fiscaux)» a peu de chances d’être acceptée par le peuple suisse car elle ne concerne pas que l’imposition à forfait, mais a un spectre beaucoup plus large. En effet, son texte prévoit ce qui suit: «Les privilèges fiscaux pour les personnes physiques sont illicites. L’imposition d’après la dépense est interdite.». Or, vu que le concept de «privilège fiscal» est un OJNI (objet juridique non identifié) le peuple et les cantons suisses notamment suisses-allemands se montreront très réticents à accepter un texte introduisant une grande insécurité dans le droit fiscal suisse.
En réalité, notre Lucky Luke de la politique suisse a fait du lien entre la votation de dimanche et l’imposition d’après la dépense un pétard mouillé.
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