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Jean Monnet, reviens, ils sont devenus fous !

Mis en ligne le 10.12.2013 à 08:46

Philippe Kenel

A la veille de votations importantes concernant les relations entre la Suisse et l’Union européenne, on assiste à une évolution dangereuse du débat. En effet, durant de très nombreuses années, il était admis, comme un acquis, que l’Union européenne avait été l’une des plus belles réalisations de l’après-guerre. En effet, cette institution, qui a évidemment des défauts, comme toute institution, était reconnue comme le garant de la paix, de la liberté et d’un certain bien-être économique. La question ne portait non pas tellement sur l’Union européenne elle-même, mais surtout sur le fait de savoir si la Suisse avait intérêt à être dedans ou dehors. Pour beaucoup, le fait d’avoir une Union européenne en bonne santé sans que la Suisse n’en soit membre était la situation idéale pour notre pays.

Depuis quelques temps, on constate que la problématique se déplace. En effet, le débat ne porte plus sur la question de savoir s’il serait préférable que la Suisse soit membre ou non de l’Union européenne, mais sur l’Union européenne elle-même. Sans se rendre compte nécessairement de l’idéologie qu’elles véhiculent, un certain nombre de personnes en Suisse n’hésitent plus à remettre en cause cette magnifique création de l’histoire. Evidemment, elles l’attaquent mais se défendent de vouloir la détruire. Mais en réalité, elles la détruisent. Ces voix helvétiques, de gauche ou de droite, s’inscrivent dans un courant idéologique et politique plus large qui se développe de plus en plus en Europe. Le Point daté du jeudi 28 novembre 2013 y consacre sa page de couverture et un intéressant dossier sous le titre : « Ils détestent l’Europe, le libéralisme et la mondialisation – « LES-NÉOCONS » - Nouveaux conservateurs à la française – le triomphe de l’idéologie du repli / leurs réseaux à gauche et à droite ».

J’étais à Bruxelles le mardi 3 décembre 2013 lorsque j'ai entendu Brice Touilloux, Secrétaire de la Jeunesse Socialiste Genevoise, déclarer à Forum qu’il paraît de plus en plus logique d’être contre l’Union européenne. Se prenant quelque peu les pieds dans le tapis lorsque le journaliste lui demande d’exposer sa position concernant la votation à propos de l’Accord entre la Suisse et la Croatie en matière de libre circulation des personnes, je ne peux, personnellement, que rester pontois en constatant qu’une personne de la génération des 20-30 ans ne se rende même pas compte ce qu’elle doit à la libre circulation des personnes, pilier de l’Union européenne. Agé de 52 ans, j’appartiens à une génération qui avait des amis en Europe de l’Est qui n’avaient jamais pu se rendre en Europe de l’Ouest. La possibilité de voyager librement, de travailler partout en Europe était un rêve. Pour eux, ce rêve s’est heureusement réalisé. De même, il s’est réalisé pour tous les Européens et même pour les Suisses depuis l’entrée en vigueur de l’Accord sur la libre circulation des personnes en juin 2002. Paradoxalement, c’est un représentant de la génération des Suisses de 20-30 ans qui a bénéficié le plus de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’Union européenne, puisqu’elle a pu aller étudier sans entrave dans les capitales européennes, qui aujourd’hui remet en cause l’institution qui lui a permis de voyager, travailler et étudier sans entrave.

Si les politiciens pensent qu’ils peuvent s’en prendre aussi directement à l’Union européenne en rabotant uniquement ce qui ne leur plaît pas dans le fonctionnement de cette institution, ils se trompent. En ouvrant le feu sur elle, ils risquent de la faire exploser et de ranimer les vieux démons qui ont mis à feu et à sang l’Europe durant de nombreux siècles. Jean Monnet a été sans doute l’un des plus grands hommes politiques du XXème siècle, il disait « Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes ». Pour que ceux-ci soient unis, il est nécessaire qu’ils se connaissent et se côtoient. C’est bien pour cela que la libre circulation des personnes est l’une des valeurs fondamentales de la construction européenne. La remettre en cause, c’est détruire la construction européenne elle-même. En Suisse ou ailleurs, ceux qui agissent de la sorte sont irresponsables !

Le débat sur les relations entre la Suisse et l’Union européenne, oui, la remise en cause de l’Union européenne et de ses fondements, non.


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