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Convention sur les successions: conforme ou non au Modèle OCDE?

Mis en ligne le 26.07.2013 à 18:00

Philippe Kenel

WARNING: Si vous êtes au soleil sur la plage, ce post est totalement boring et unsexy. Lisez-le à votre retour…

Depuis quelques mois, on peut lire le tout et son contraire, la dernière fois en date dans un article de J.–C. Péclet dans LeMatinDimanche du 21 juillet 2013, sur la question de savoir si la Convention entre la Suisse et la France en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions signée le 11 juillet à Paris (Convention du 11 juillet) est contraire ou non au Modèle de convention de double imposition concernant les successions et les donations (ci-après : Modèle OCDE) élaboré par l’OCDE en 1982 ainsi qu’au Rapport du Comité des affaires fiscales de l’OCDE (ci-après : le Commentaire)

En guise de préambule, il faut avoir à l’esprit que les Etats sont souverains et sont, par conséquent, libres de déterminer la manière par laquelle ils souhaitent imposer les successions. Le but de l’OCDE n’est pas de forcer les Etats à adopter telle ou telle méthode d’imposition, mais de proposer un modèle de convention en vue d’éviter les doubles impositions. Par conséquent, la question n’est pas de déterminer si le fait que la France impose en vertu de l’article 750 ter par. 3 du Code général des impôts les successions au lieu de domicile de l’héritier est conforme ou non à ce que propose l’OCDE, puisque son but n’est pas de se prononcer sur cette question, mais uniquement d’étudier si la solution figurant dans la Convention du 11 juillet est ou non conforme à la solution proposée par l’OCDE dans son Modèle de convention pour éviter les doubles impositions.

Pour trancher la question mentionnée ci-dessus, il y a lieu de se référer au Modèle OCDE ainsi qu’au Commentaire qui contient une étude, article par article, du modèle de convention. À titre d’information, ce modèle de convention remplace un modèle datant de 1966. La différence essentielle entre les deux est que celui de 1966 concernait que les successions, alors que celui de 1982 a trait également aux donations. Aucun autre modèle de convention n’a été élaboré depuis lors.

Comme l’écrivent les auteurs du Commentaire « la plupart des pays Membres perçoivent des droits de succession et des impôts sur les donations entre vifs, sur la valeur de tous les biens (quel que soit le lieu où ils sont situés) qui passe du patrimoine d’un défunt à ses héritiers, légataires ou autres bénéficiaires, ou du patrimoine d’un donateur à un donataire, lorsque le défunt ou le donateur était domicilié ou vivait de façon permanente sur leur territoire au moment du décès ou de la donation » (Commentaire, p. 16). Néanmoins, certains Etats imposent les successions ou les donations en vertu d’un autre critère, telle la nationalité du défunt ou le domicile de l’héritier.

La question de la double imposition entre la Suisse et la France se pose dans la mesure où la Suisse impose la succession en vertu du critère du dernier domicile du défunt, alors que la France impose également les successions en vertu du domicile de l’héritier.

Pour régler ce type de conflit, l’article 7 du Modèle OCDE stipule que « les biens, quelle qu’en soit la situation, qui font partie de la succession ou d’une donation d’une personne domiciliée dans un Etat contractant et qui ne sont pas visés aux articles 5 et 6 ne sont imposables que dans cet Etat » (l’article 5 vise les biens immobiliers et l’article 6 les biens mobiliers appartenant à un établissement stable ou à une base fixe). Comme l’écrit Edouard-Jean Navez, « en d’autres termes, en dehors des prévisions des articles 5 et 6 du modèle, le droit d’imposer est conventionnellement attribué à l’Etat dans lequel est domicilié le donateur ou le défunt, à l’exclusion de celui dont il a la nationalité ou de celui dont l’héritier ou le donataire est résident. » (Edouard-Jean Navez, Articulation des principes nationaux, internationaux et européens, in La fiscalité des successions et des donations internationales – Théorie générale et applications en droit comparé, Bruxelles 2011, p. 135). Comme l’écrivent également les auteurs du Commentaire à la page 67 de ce dernier, il importe de souligner et de mettre en exergue que l’article 7 du Modèle OCDE prévoit dans ce type de double imposition le droit exclusif de l’Etat de domicile du défunt d’imposer la succession à l’exclusion de celui de domicile des héritiers.

La règle figurant dans la convention actuellement en vigueur conclue le 31 décembre 1953 entre la Suisse et la France en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur les successions correspond exactement à la solution proposée par l’article 7 du Modèle OCDE. En effet, l’article 3 par. 1 de la Convention de 1953 stipule expressément que sous réserve des règles figurant à l’article 2 ayant trait aux biens immobiliers, les biens d’une succession sont soumis exclusivement aux impôts dans l’Etat où le défunt avait son dernier domicile. En revanche, l’article 11 par 1 lit. b et c de la convention du 11 juillet 2013 va à l’encontre du principe figurant à l’article 7 du Modèle OCDE. En effet, il consacre le droit pour la France, en cas de décès d’une personne domiciliée en Suisse, d’une part, d’imposer les biens mobiliers se trouvant en France et, d’autre part, d’imposer la totalité de la part successorale, y compris les biens immobiliers se trouvant en Suisse, d’un héritier domicilié en France et l’ayant été au moins huit ans au cours des dix dernières années. En résumé, en signant la convention du 11 juillet et en mettant fin, par conséquent, à celle du 31 décembre 1953, le Conseil fédéral a ratifié un texte non conforme à l’article 7 de la convention OCDE et a abrogé un autre qui l’était.

D’aucuns me rétorqueront, à juste titre, que les auteurs du Commentaire ont expressément prévu à la page 113 de ce dernier que les Etats qui souhaitent se réserver dans leur convention bilatérale le droit subsidiaire d’imposer une succession en fonction du domicile de l’héritier peuvent prévoir d’éliminer les doubles impositions par le biais de la méthode d’exemption ou d’imputation prévue respectivement aux article 9A et 9B du Modèle OCDE. C’est la solution retenue à l’article 11 par 1 lit. b et c de la Convention du 11 juillet 2013 précitée, puisque dans les deux cas visés, l’impôt payé en Suisse serait imputé sur celui dû en France.

Cependant, il est fondamental d’avoir à l’esprit que le fait que l’OCDE prévoit la méthode de l’exemption à laquelle souhaite avoir recours la France, ne rend pas le principe de l’imposition d’une succession au lieu de domicile de l’héritier conforme au Modèle de convention OCDE, puisque, comme je l’ai décrit ci-dessus, l’article 7 du Modèle OCDE consacre, de manière exclusive, celui de l’imposition au lieu de domicile du défunt. Le recours à la méthode d’exemption rend ce système uniquement compatible avec le Modèle OCDE.

Mon blog de ce jour n’aura sans doute pas été le plus drôle que vous ayez lu et n’aura sans doute pas été la meilleure lecture que vous auriez pu avoir sur la plage. Il faut néanmoins en retenir que la solution contenue dans la Convention du 11 juillet 2013 n’est pas conforme à la règle prévue par l’OCDE dans son Modèle de convention, mais qu’elle est néanmoins compatible avec celle-ci.


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nathaliewithanh Soyez rassuré, Maître : après quelques piña coladas, votre blog devient très divertissant indeed.

Non obstante veredicto (compatibilité vs. non-conformité), c’est ce caniculage qui parait very unsexy, orteils dans l’eau ou pas. La Suisse a-t-elle réellement besoin d’une raison autre que le déséquilibre évident entre les considérations mutuelles des parties pour ne pas ratifier cette convention? Que fera donc le gouvernement français une fois que les futurs héritiers se seront à leur tour délocalisés ? Essayer d’imposer sur base du lieu de conception?

En vous souhaitant de bonnes vacances...
27.07.2013 - 20:35

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