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Paris 2013 = Munich 1938

Mis en ligne le 12.07.2013 à 10:39

Philippe Kenel

L’Histoire n’oubliera jamais les images de la conférence de Munich du mois de septembre 1938 au cours de laquelle la France et le Royaume-Uni en sacrifiant la Tchécoslovaquie ont cru sauver la paix en Europe alors qu’ils ont précipité la guerre. La leçon historique des accords de Munich est que céder en croyant que la faiblesse adoucira l’adversaire est la pire des croyances dans les rapports entre Etats. Bien qu’aucune comparaison possible ne puisse et ne doive être faite entre le gouvernement français actuel et celui qui dirigeait l’Allemagne à l’époque, je n’ai pas pu m’empêcher de voir défiler ces images et ces symboles lorsque j’ai vu Mme la Conseillère fédérale Widmer-Schlumpf signer la convention de double imposition en matière de successions avec la France le 11 juillet 2013 et en l’entendant nous expliquer qu’en cédant nous ouvrions la voie à de meilleurs rapports avec la France.

Sans entrer dans des considérations techniques et fiscales relatives à cette convention en matière de successions (ce que je ferai au courant de l’été), je tiens à mettre en exergue ci-dessous les quatre raisons pour lesquelles la signature de cette convention avec la France est une erreur politique et stratégique fondamentale pour notre pays dont les effets dépasseront très largement la question de l’imposition des successions.

Tout d’abord, comme je l’ai mentionné ci-dessus, croire, que, dans le cadre des rapports étatiques, l’on n’obtient plus en étant faible est une croyance dont la fausseté a été démontrée par l’histoire. La paix ne s’achète pas par la faiblesse, mais par des rapports de force équilibrés.

En second lieu, la volonté émise par la France est de négocier globalement l’ensemble des problèmes rencontrés par nos deux Etats. Sur le fond, je partage cette manière de faire dans la mesure où il est important que la France et la Suisse entretiennent de très bons rapports de voisinage qui ne soient plus envenimés par des problèmes non résolus. Ceci dit, lorsque l’on négocie globalement, on sait que l’on devra céder sur certains dossiers pour obtenir un certain nombre de concessions de l’autre partie sur d’autres dossiers. Par conséquent, l’objectif est de conserver le maximum d’éléments dans son jeu que l’on serait prêt à concéder à l’autre partie. Or, en signant la convention sur les successions, le Conseil fédéral a sacrifié l’un de ses plus grands atouts avant même le début des négociations. Il s’agit d’une erreur stratégique qui mériterait une tomme dans le carnet journalier d’un enfant d’école enfantine. La France, quant à elle, se montre beaucoup plus maligne dans le cadre des négociations. D’une part, elle a posé comme condition préalable avant toute négociation globale que le Conseil fédéral signe ce projet de convention. En d’autres termes, elle a exigé de son partenaire qu’avant même de négocier, il sacrifie son principal atout. D’autre part, dans l’optique de ces futures négociations, la France a créé avec la Suisse de faux problèmes afin de créer des dossiers sur lesquels elle sait qu’elle devra céder, mais qui en fait, n’ont aucune portée. Tel est le cas de l’application de la double convention en matière de revenu et de fortune aux personnes imposées d’après la dépense en Suisse. En effet, selon le texte de cette convention, il est évident, aussi bien pour les juristes et les autorités suisses que pour les juristes français, que les forfaitaires sont couverts par cette convention et que légalement les autorités fiscales françaises n’ont pas le droit de les exclure. Néanmoins, lors de la négociation finale, la France cédera sur ce dossier qui, en réalité, ne sera pas une concession, puisqu’il s’agit d’un faux problème sur lequel il n’y avait rien à négocier.

Troisièmement, dans les rapports et les négociations entre les Etats, l’objectif est de ne pas avoir le mauvais rôle. Or, il est incontestable, que si la France avait dû mettre fin à la convention signée en 1953, donc datant de soixante ans, elle aurait endossé un rôle non amical, voire guerrier, à l’égard de la Suisse. Par conséquent, en termes d’attitude et d’image, il était de loin préférable pour la France que la Suisse signe une convention destinée à remplacer celle de 1953, plutôt que de devoir mettre fin à celle de 1953.

Enfin, les prochaines années seront marquées par des négociations ardues avec l’Union européenne et par des votations importantes ayant trait à des questions européennes. Je pense notamment à celles sur la libre circulation des personnes et sur les questions institutionnelles. Dans le cadre de ces négociations, il est important, d’une part, que la Suisse soit considérée comme un Etat fort et non pas un Etat qu’il suffit de mettre dans les cordes pour qu’il cède et, d’autre part, qu’il soit considéré comme un partenaire crédible. Concernant ce dernier point, il est très important que lorsque le Conseil fédéral négocie, son partenaire ait l’impression qu’il représente la Suisse et la majorité de son parlement et qu’il n’est pas un électron libre appliquant la méthode « courage fuyons » en ne prenant pas en considération si ce qu’il signe sera ratifié par le parlement. Or, c’est exactement ce qu’a fait le Conseil fédéral en signant la convention en matière de successions le 11 juillet 2013, puisque le 19 juin 2013, le Conseil national à une écrasante majorité lui avait clairement fait savoir qu’il ne ratifierait pas une convention prévoyant l’imposition à l’étranger des immeubles situés en Suisse. Par ailleurs, si le Conseil fédéral veut que le peuple suisse approuve les accords qu’il va conclure avec l’Union européenne, il est primordial que les citoyens helvétiques aient l’impression que notre gouvernement s’est montré fort et qu’il ne s’est pas agenouillé, voire couché, devant l’Union européenne ou devant les grands Etats qui en sont membres. Or, en signant la convention en matière de successions avec la France, c’est exactement ce qu’a fait la Suisse.

Mesdames, Messieurs les Conseillers fédéraux, sans même parler de question d’honneur, pour les raisons tactiques et stratégiques mentionnées ci-dessus, vous avez commis une profonde erreur en transformant en 2013 Paris en un Munich helvétique.


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