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Régulariser le passé : les intérêts contradictoires de chacun

Mis en ligne le 14.05.2013 à 09:15

Philippe Kenel

Alors que la Suisse est dos au mur concernant le passage à l’échange automatique d’informations, elle joue les vierges effarouchées en arguant du fait qu’elle a besoin de temps pour régulariser la situation de l’argent non déclaré se trouvant en Suisse. Autant il est exact que cette question est primordiale aussi bien pour les banques helvétiques que pour les clients, autant il est regrettable que la Suisse ait attendu aussi longtemps pour ouvrir les yeux et découvrir que l’échange automatique était à sa porte, alors qu’il se profilait au loin depuis de très nombreuses années. La Confédération helvétique se trouve un peu dans la situation du mari à qui l’épouse a demandé de faire des efforts durant de nombreuses années et qui, une fois que son épouse a décidé de le quitter, déclare qu’il faut lui donner une chance et promet d’être le mari parfait à l’avenir. Rares sont les femmes qui changent d’avis, malgré ces belles promesses…

A titre préalable, trois remarques méritent d’être faites. Tout d’abord, la Suisse doit absolument arrêter de jouer la montre et doit, non plus réagir, mais anticiper. En second lieu, s‘il est évident que les représentants du monde bancaire helvétique doivent être des interlocuteurs privilégiés dans les prises de décision, il est impératif que le monde politique, qu’il s’agisse des autorités ou des partis, reprenne sa liberté de pensée et les rênes du dossier. A ce jour, le centre droit est le grand perdant de la stratégie consistant à répéter mot pour mot la position des associations bancaires dont, malheureusement, l’un des buts essentiels est de perdre du temps. Le temps perdu profite peut-être à certaines banques dans la mesure où chaque année gagnée est une année de bénéfice supplémentaire, mais, elle nuit aux partis qui adoptent la position du « copier-coller », car la population ne comprend plus leur position et leur stratégie. Enfin, il est fondamental de faire une distinction entre la question de la légalité et celle de la transparence. Il est exact d’affirmer que le système de l’impôt libératoire est l’équivalent de l’échange automatique d’informations dans la mesure où dans les deux hypothèses la légalité de l’argent déposé dans les banques suisses est garantie. En revanche, au niveau de la transparence cette équivalence n’existe  pas. Alors que l’échange automatique garantit que le fisc des Etats étrangers connaisse l’identité du client et les informations qui le concernent, le système de l’impôt libératoire va à l’encontre de la transparence puisqu’il garantit l’anonymat de l’épargnant.

La question du traitement de l’argent non déclaré déposé dans les banques helvétiques est une question fondamentale dans la mesure où, si rien n’est prévu à cet effet, le passage à l’échange automatique d’informations pourrait tout simplement correspondre à une dénonciation par les banques helvétiques de ses propres clients aux autorités fiscales étrangères. Vu le contexte actuel, la solution à mettre sur pied ne sera pas si facile à négocier dans la mesure où les parties en cause ont des intérêts diamétralement opposés.

Tout d’abord, les banques helvétiques ont, quel que soit le prix à payer pour le client, tout intérêt à ce qu’une solution soit trouvée. En effet, si tel n’est pas le cas, elles pourraient devoir faire face à des procédures judiciaires dans le pays de domicile des épargnants. L’idéal pour elles serait une régularisation garantissant l’anonymat des intéressés. Les banques helvétiques auront également tout intérêt à ce que la solution trouvée leur permette de conserver les clients.

En second lieu, les épargnants indélicats ont intérêt à ce que la solution leur garantisse l’anonymat, qu’elle soit la moins chère possible et qu’elle leur permette, s’ils le souhaitent, de quitter les banques helvétiques afin d’échapper à la régularisation.

Enfin, le but des états étrangers est de connaître le nom des contribuables, d’encaisser le plus d’argent possible, d’empêcher que les clients puissent échapper à la régularisation en quittant la Suisse et, dans la mesure du possible, de rapatrier l’argent dans leurs banques nationales.

En étudiant ces différents intérêts contradictoires, on ne peut que constater, sans retourner le couteau dans la plaie, l’occasion qui a été ratée par la Suisse, convaincue de la réussite des accords Rubik à long terme et hermétique à toute critique ou idée nouvelle, de conclure, comme je ne cesse de le défendre depuis la fin de l’année 2009, un passage à moyen terme à l’échange automatique d’informations en contrepartie de la libre circulation des services financiers, avec comme solution transitoire, pour régulariser le passé, un accord Rubik. Quel que soit le contenu de l’accord qui pourra être encore négocié aujourd’hui, les points et les questions importants qui devront être abordés sont les suivants :

  • La date de l’entrée en vigueur de l’échange automatique
  • Le champ d’application de l’échange automatique
  • L’échange automatique aura-t-il un effet rétroactif ?
  • Le coût de la régularisation qui, par définition, variera selon les Etats
  • Dans le cadre de la régularisation du passé, sera-t-il tenu compte des délais de prescription, notamment en matière d’impôt sur les successions ?
  • Les clients auront-ils la possibilité de transférer leur argent hors de Suisse avant la date de l’entrée en vigueur de l’échange automatique ?
  • Dans le cadre de la régularisation, quelle date sera prise en considération ? Celle de l’entrée en vigueur de ou des accords ou une date antérieure, comme c’est le cas dans les accords Rubik conclus avec le Royaume Uni et l’Autriche ?
  • L’anonymat du client sera-t-il garanti ?
  • Le montant correspondant au prix de la régularisation sera-t-il versé directement par les banques helvétiques aux autorités fiscales étrangères ou cette démarche devra-t-elle être effectuée par le client ?

Intérêts contradictoires, solutions techniques délicates à trouver et problèmes aigus de compétence entre l’Union européenne et les Etats membres, voilà les principaux ingrédients du menu qui attend nos autorités. Néanmoins, plus la Suisse attendra, plus la digestion sera difficile. Mesdames, Messieurs les Conseillers fédéraux, de grâce, passez à table !


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