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Mme Widmer-Schlumpf, ne signez pas

Mis en ligne le 23.04.2013 à 18:18

Philippe Kenel

Lors d’une conférence de presse ce week-end, le ministre français Moscovici a invité Mme Widmer-Schlumpf à se rendre en France afin de signer une nouvelle convention de double imposition en matière de successions. Bien que nous ne connaissions pas la dernière mouture de cette convention, il est quasiment certain qu’elle reprendra les grands principes du projet qui a été dévoilé dans Le Temps, par Alexis Favre, au mois d’août 2012. Or, ce projet est inacceptable.

Le droit international fiscal consacre, de manière générale, qu’une succession est imposée au lieu du dernier domicile du défunt à l’exception des biens immobiliers qui le sont dans l’Etat où ils sont situés. Cette règle est consacrée aux articles 5 et 7 du Modèle de convention de l’OCDE de 1983 ayant trait à l’impôt sur les successions. Lorsque les Etats respectent ce principe en droit interne il n’est même pas nécessaire de conclure de conventions de double imposition en matière de successions. Preuve en est le fait, qu’à ce jour, la Suisse n’a conclu que dix conventions relatives à cette matière.

Le problème avec la France peut se résumer ainsi. Les deux Etats ont conclu le 31 décembre 1953 une convention en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur les successions. Cette convention applique les principes de l’OCDE mentionnés ci-dessus. À la fin des années 90, le législateur français a introduit en droit interne une disposition allant à l’encontre des principes de l’OCDE qui correspond à une forme d’impérialisme fiscal. En effet, l’article 750 ter nouveau du Code général des impôts stipule, d’une part, que, même si une personne décède à l’étranger, la part d’un héritier est imposée en France au taux français si celui-ci est domicilié en France et, d’autre part, que, quelque soit le domicile de l’héritier, les avoirs, non seulement immobiliers, mais également mobiliers, situés en France sont imposés en France. Dans la mesure où le droit international prime le droit national, cette nouvelle disposition n’a pas affecté les personnes décédant en étant domiciliées en Suisse dans la mesure où la Convention de double imposition conclue entre la Suisse et la France en 1953 prévoyait des règles contraires.

Le problème actuel est que le nouveau projet de convention que la France souhaite faire signer à la Suisse, non seulement, abroge la convention de 1953, mais reprend, à titre de droit conventionnel, le contenu de l’article 750 ter du Code général des impôts. En effet, l’article 11 ch. 1 lit. b et c du projet de convention prévoit ce qui suit :

« b nonobstant tout autre disposition de la présente Convention, lorsque le défunt au moment du décès était domicilié en Suisse, la France impose l’ensemble des biens meubles corporels et immeubles situés en France et accorde, sur cet impôt l’imputation d’un montant égal à l’impôt payé en Suisse pour les biens qui, à l’occasion du même événement, sont imposables ou ne sont imposables qu’en Suisse.

c nonobstant tout autre disposition de la présente Convention, lorsqu’un héritier ou un légataire est domicilié en France au moment du décès du défunt, et l’a été pendant au moins six années au cours des dix dernières années précédant celle au cours de laquelle il reçoit les biens, la France impose tous les biens reçus par cette personne et, conformément aux dispositions de la législation française concernant l’imputation de l’impôt étranger, elle impute sur l’impôt calculé selon sa législation l’impôt payé en Suisse sur tous les biens autres que ceux qui, conformément aux dispositions des articles 5, 6 et 7 sont imposables en France ».

Signer une telle convention serait inadmissible pour les motifs suivants. Tout d’abord, la Suisse céderait à une forme d’impérialisme fiscal français contraire aux règles de l’OCDE. En second lieu, en incluant au sein d’une convention de double imposition les règles mentionnées ci-dessus la Suisse prendrait le risque que d’autres Etats demandent l’application de ces règles même si ces Etats ne connaissent pas une disposition interne identique à celle de l’article 750 ter du Code général français des impôts. Enfin, une telle attitude reviendrait à pénaliser très lourdement toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité, françaises, suisses ou autres, domiciliées en Suisse ayant des héritiers en France. À titre d’exemple, un Suisse domicilié dans le canton de Vaud ayant un fils travaillant à Paris verrait la part successorale de ce dernier imposée en France au taux maximum de 45% au lieu du taux de 7% pratiqué dans le canton de Vaud.

La question évidente qui se pose est de savoir s’il est préférable de conclure une nouvelle convention de ce type ou de voir la convention actuelle résiliée par le gouvernement français. Sur le plan mathématique, il est soutenable qu’il est mieux d’avoir une mauvaise convention que pas de convention du tout. En effet, si le nouveau texte devait être signé, l’impôt payé en Suisse pourrait être déduit de celui payé en France ce qui ne serait pas le cas si les Français décidaient, de manière unilatérale, de résilier la convention actuelle. Ils ont la faculté d’agir de la sorte pour le 31 décembre de chaque année moyennant un préavis de six mois. C’est pour cette raison que le ministre Moscovici veut que la Suisse signe avant le 30 juin 2013. Cependant, si l’on se place sur le plan global, mieux vaut que la France résilie la convention actuelle, plutôt que la Suisse signe une convention par laquelle elle s’affaiblit. En effet, d’une part, il n’est pas sûr que la France résilie la convention actuelle, dans la mesure où il s’agit d’un acte de guerre, alors que le président Hollande clame urbi et orbi qu’il souhaite entretenir des relations amicales avec la Suisse, et, d’autre part, cela évitera que notre pays crée un précédent.

Par ailleurs, la Suisse doit se méfier des autorités françaises qui sont en train de lui faire miroiter qu’en échange d’une abdication sur le plan fiscal elles l’aideront dans le cadre des relations bilatérales avec l’Union européenne. En effet, à ce jour, contrairement à ce que le gouvernement français déclare, la France est plus un ennemi au sein de l’Union européenne qu’un ami !


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