Philippe Kenel
Les exigences légales relatives à la durée du séjour en Suisse d’un ressortissant étranger imposé d’après la dépense
par
Philippe Kenel, docteur en droit, avocat, Python & Peter (pkenel@pplex.ch)
1. Introduction
L’objet de cette contribution est de déterminer le nombre de jours qu’un ressortissant étranger imposé d’après la dépense doit passer en Suisse et, dans quelle mesure, il doit y transférer le centre de ses intérêts. Dans un premier temps, nous étudierons les exigences posées par la législation relative aux autorisations de séjour, notamment à la lumière d’un arrêt rendu récemment par la Cour de droit administratif et fiscal du Tribunal cantonal vaudois. En second lieu, nous examinerons la question sous l’angle du droit fiscal. Enfin, nous aborderons le cas du ressortissant étranger qui acquiert un bien immobilier en s’installant dans notre pays.
2. Les conditions posées par la législation en matière d’autorisation de séjour
2.1. Généralités
Pour traiter cette matière sous l’angle de la législation en matière d’autorisation de séjour et d’établissement, il y a lieu de répondre à deux questions distinctes. Le titulaire de l’autorisation concernée a-t-il l’obligation de passer un nombre minimum de jours en Suisse et/ou d’y transférer le centre de ses intérêts? Après combien de jours passés à l’étranger l’autorisation prend-elle fin?
2.2. La Loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE)
Jusqu’au 1er juin 2002, le statut des ressortissants étrangers souhaitant séjourner dans notre pays, sans y exercer d’activité lucrative, était réglé essentiellement, quelque soit la nationalité de l’intéressé, par la LSEE et l’Ordonnance du 6 octobre 1986 limitant le nombre des étrangers (OLE). Les traits caractéristiques de cette législation étaient que le ressortissant étranger n’avait aucun droit à l’obtention d’une autorisation de séjour (art. 4 LSEE) et qu’elle tendait, notamment, à assurer un rapport équilibré entre l’effectif de la population suisse et celui de la population étrangère résidante (art. 1er lit. a OLE) en tenant compte des intérêts économiques et moraux du pays ainsi que « du degré de surpopulation étrangère » (art. 16 al. 1 LSEE). Par ailleurs, outre le cas où des raisons impératives justifiaient l’octroi d’une autorisation (art. 36 OLE), elle prévoyait de manière limitée et exhaustive le type de séjour pour lesquels une autorisation pouvait être délivrée : élèves (art. 31 OLE), étudiants (art. 32 OLE), curistes (art. 33 OLE) et rentiers (art. 34 OLE). En vertu de la pratique des autorités fédérales de l’époque, un ressortissant étranger, européen ou non, souhaitant s’installer en Suisse pour bénéficier de l’imposition forfaitaire, pouvait solliciter deux types d’autorisation de séjour. Tout d’abord, il pouvait requérir une autorisation de séjour pour rentier à condition d’être âgé de plus de 55 ans, d’avoir des attaches étroites avec la Suisse, de ne plus exercer d’activité lucrative ni en Suisse, ni à l’étranger, et de disposer des moyens financiers nécessaires (art. 34 OLE). Si le requérant ne remplissait pas ces conditions, il pouvait solliciter l’octroi d’une autorisation de séjour dans le cadre de l’article 36 OLE si le canton avait un intérêt particulièrement important, notamment dans le domaine culturel, économique ou fiscal, à l’octroi d’une telle autorisation. Il appartenait à l’intéressé de prouver qu’il avait des attaches avec notre pays et que, dans la mesure, où il conservait une activité à l’étranger, il l’exercerait de manière très réduite[1]. Dans les deux hypothèses, le ressortissant étranger obtenait, après cinq ou dix ans de séjour en Suisse, une autorisation d’établissement (permis C) (art. 17 LSEE).
En se fondant notamment sur l’article 34 lit. d OLE qui stipulait que le titulaire d’une autorisation de séjour pour rentiers devait transférer en Suisse le centre de ses intérêts, les autorités administratives fédérales exigeaient, peu importe que l’autorisation ait été octroyée dans le cadre de l’art. 34 ou 36 OLE, que son titulaire respecte la condition figurant à l’art. 34 al. 1 lit. d OLE précitée et qu’il séjourne dans notre pays, au minimum 6 mois par année civile[2]. De même, il résultait de la jurisprudence du Tribunal fédéral[3] que le titulaire d’un permis C devait avoir en Suisse le centre de ses intérêts. Quant à la seconde question, les deux types d’autorisations précitées (art. 34 et 36 OLE) prenaient fin lorsque le séjour était en fait terminé (art. 9 al. 1 lit. c LSEE). En revanche, un permis C s’éteignait lorsque son titulaire séjournait effectivement pendant plus de six mois consécutifs à l’étranger (art. 9 al. 3 lit. c LSEE). Le Tribunal fédéral a précisé que ce délai de six mois n’était pas interrompu lorsque l’intéressé revenait uniquement en Suisse pour de brefs séjours d’affaires ou de visite alors qu’il avait transféré le centre de ses intérêts à l’étranger[4].
Ces règles étaient applicables aux ressortissants européens jusqu’au 1er juin 2002, date de l’entrée en vigueur de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP) et de l’Ordonnance du 22 mai 2002 sur l’introduction de la libre circulation des personnes (OLCP)[5], et aux ressortissants d’Etats tiers jusqu’au 1er janvier 2008 date à laquelle la LSEE et l’OLE ont été remplacées par la Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr) et l’Ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative (OASA)[6].
2.3. La Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr)
Depuis le 1er janvier 2008, la situation pour un ressortissant non européen est relativement similaire à celle que prévoyait la législation antérieure. En effet, la LEtr, dont l’objet est notamment l’encouragement de l’intégration des étrangers, prévoit sur le modèle de l’OLE certains types particuliers d’autorisation de séjour, notamment pour la formation et le perfectionnement (art. 27 LEtr), les rentiers (art. 28 LEtr), pour les cas médicaux (art. 29 LEtr) et pour des cas d’intérêts publics majeurs (art. 30 al. 1 lit. b LEtr). Cette loi ne confère aucun droit au requérant à l’octroi de l’autorisation sollicitée.
Deux solutions s’offrent à la personne qui souhaite pouvoir bénéficier de l’imposition forfaitaire. Tout d’abord, en vertu des articles 28 LEtr et 25 OASA, elle peut obtenir une autorisation de séjour pour rentier si elle satisfait les conditions suivantes : elle est âgée de plus de 55 ans, elle a des liens personnels particuliers avec la Suisse, elle dispose des moyens financiers nécessaires et elle n’exerce pas une activité lucrative en Suisse ou à l’étranger (à l’exception de la gestion de sa propre fortune). En second lieu, une autorisation de séjour peut être octroyée à un ressortissant étranger non européen pour tenir compte d’intérêts publics majeurs (art. 30 al. 1 lit. b LEtr). Le Conseil fédéral cite à titre d’exemple des intérêts culturels importants ou des intérêts cantonaux majeurs en matière de fiscalité (art. 32 al. 1 lit. a et c OASA). Contrairement à ce qui était exigé à l’époque dans le cadre de l’article 36 OLE, l’Office fédéral des migrations (ODM) n’exige plus, pour qu’une autorisation de séjour soit délivrée afin de préserver des intérêts publics majeurs, que le requérant ait des liens étroits avec la Suisse. Que l’autorisation de séjour ait été délivrée dans le cadre des articles 28 LEtr et 25 OASA ou 30 al. 1 lit. b LEtr et 32 OASA, son titulaire peut obtenir un permis C après un séjour en Suisse de dix ans, voire, selon les cas, de cinq ans (art. 34 LEtr).
Quelque soit le type d’autorisation de séjour mentionné ci-dessus, l’ODM exige que son titulaire transfert en Suisse le centre de ses intérêts et passe sur le sol helvétique la majeure partie de son temps[7]. Des exceptions à ce principe peuvent être faites pour des ressortissants étrangers appelés à se déplacer fréquemment à l’étranger, tels des artistes ou des sportifs à condition que le centre de leurs intérêts demeure en Suisse (relations familiales, sociales et privées)[8] . Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral citée ci-dessus applicable par analogie à la LEtr, le titulaire d’un permis C doit avoir le centre de ses intérêts en Suisse.
Les autorisations de séjour précitées ainsi que l’autorisation d’établissement prennent fin, en vertu de l’article 61 al. 2 LEtr lorsque son titulaire quitte la Suisse pendant plus de 6 mois consécutifs. Le Conseil fédéral a précisé que ce délai n’est pas interrompu en cas de séjour temporaire en Suisse à des fins de visite, de tourisme ou d’affaires (art. 79 OASA).
2.4. L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP)
Comme l’indique le préambule de l’ALCP, la législation applicable aux ressortissants européens[9] depuis le 1er juin 2002 a pour but d’instaurer la libre circulation des personnes entre l’Union Européenne et la Suisse. Elle diffère fondamentalement de la LSEE et de la LEtr sur deux points. D’une part, elle ne prévoit pas un type d’autorisation de séjour selon l’activité, mais une autorisation de séjour générale. En second lieu, si la personne concernée satisfait les conditions prévues par l’article 24 al. 1 de l’Annexe 1 de l’ALCP (Annexe), soit dispose des moyens financiers suffisants pour ne pas devoir faire appel à l’aide sociale et d’une assurance maladie, elle a droit à l’octroi de l’autorisation sollicitée. L’Accord ne traitant pas du permis C, ses conditions d’octroi sont soumises à la LEtr (art. 5 OLCP). Un ressortissant européen peut donc l’obtenir après un séjour de dix ans, voire de cinq ans en Suisse (art. 34 LEtr).
La seule disposition de l’Accord ayant trait aux deux questions qui nous intéressent est le paragraphe 6 de l’article 24 de l’Annexe qui stipule ce qui suit : « Les interruptions de séjour ne dépassant pas six mois consécutifs ainsi que les absences motivées par l’accomplissement d’obligations militaires n’affectent pas la validité du titre de séjour ». L’ODM prévoit expressément que les restrictions à l’octroi d’une autorisation de séjour pour rentiers au sens de l’article 25 OASA ne sont pas applicables[10]. Par ailleurs, cet office précise que l’autorisation de séjour prévue à l’article 24 de l’Annexe s’éteint « seulement après un séjour ininterrompu de six mois à l’étranger »[11]. Il résulte de ce qui précède, qu’il n’existe aucune exigence relative à une durée minimale de séjour ou au transfert du centre d’intérêt en Suisse pour le titulaire d’une autorisation de séjour délivrée dans le cadre de l’article 24 de l’Annexe. Cette interprétation est corroborée par le fait qu’à l’article 25 paragraphe 1 de l’Annexe ayant trait aux acquisitions immobilières, les parties prévoient le cas particulier des personnes titulaires d’un droit de séjour et qui, de plus, constituent leur résidence principale dans un Etat signataire.
La Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal a eu l’occasion de rendre un arrêt sur cette matière le 29 septembre 2009[12]. Le Tribunal cantonal ne s’est pas prononcé sur la question de savoir si le titulaire d’une autorisation de séjour délivrée en application de l’article 24 de l’Annexe devait ou non transférer le centre de ses intérêts ou passer un minimum de jours par an en Suisse. En revanche, deux principes essentiels découlent de cette jurisprudence. Tout d’abord, le Tribunal, estimant que le texte de l’article 24 paragraphe 6 de l’Annexe doit être interprété de manière littérale vu sa limpidité écrit ce qui suit : «La validité du titre de séjour n’est pas affectée en cas d’absence ne dépassant pas six mois consécutifs ; il suit de là, a contrario, que la validité du titre de séjour est affectée en cas d’absence de six mois consécutifs au moins ». En second lieu, il considère que la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue en application de l’article 9 al. 3 lit. c LSEE selon laquelle le délai de six mois consécutifs n’est pas interrompu lorsque le ressortissant étranger revient en Suisse uniquement pour des séjours d’affaires ou de visite n’est pas applicable au ressortissant européen. Par conséquent, même si en espèce le recourant n’avait fait que de brefs retours en Suisse, ceux-ci ont interrompu le délai de six mois.
Concernant l’autorisation d’établissement, même si la question pourrait donner lieu à discussion[13], nous partageons la position adoptée par l’ODM qui soumet non seulement les conditions d’octroi, mais également celles relatives au maintien du permis C à la LEtr[14]. Il en résulte, comme mentionné ci-dessus[15], que le ressortissant européen, pour conserver son permis C, doit avoir le centre de ses intérêts en Suisse et que son autorisation d’établissement prend fin s’il séjourne plus de six mois consécutifs à l’étranger (art. 61 al. 2 LEtr) sans que des séjours en Suisse à des fins de visite, de tourisme ou d’affaires n’interrompent ce délai (art. 79 al. 1 OASA).
Il résulte de ce qui précède que le ressortissant européen titulaire d’un permis C est dans une situation plus précaire que s’il bénéficiait d’une autorisation de séjour. Par conséquent, à notre avis, il pourrait voir son permis C prendre fin tout en conservant le droit à une autorisation de séjour en application de l’article 24 de l’Annexe si, bien que ne séjournant pas de manière consécutive pendant six mois à l’étranger, il ne revenait en Suisse qu’à des fins de visites, de tourisme ou d’affaires.
3. Les exigences du droit fiscal suisse
3.1. Généralités
De nombreux ressortissants étrangers fortunés viennent s’installer en Suisse afin de bénéficier de l’impôt d’après la dépense, qualifiée également d’impôt à forfait. En vertu de ce système, le contribuable qui a l’interdiction d’exercer une activité lucrative en Suisse paie, en lieu et place des impôts sur le revenu et la fortune, un impôt calculé sur ses dépenses. Vu sous l’angle suisse, la question du caractère effectif du séjour contribuable est relativement théorique. En effet, un fonctionnaire nous déclarait un jour qu’étant donné qu’il n’avait pas assez de personnel pour dénicher les contribuables domiciliés en Suisse qui ne payaient pas leurs impôts, il n’allait pas s’attaquer à ceux qui, ne résidant pas effectivement dans notre pays, y payaient tout de même leurs impôts. Néanmoins, cette problématique joue un rôle essentiel vu sous l’angle de la législation fiscale du pays que le contribuable est censé quitter pour venir s’installer en Suisse. En effet, les autorités fiscales de cet Etat pourraient, d’une part, considérer que le contribuable n’y a pas abandonné son domicile et d’autre part, s’étonner qu’il paie des impôts en Suisse alors qu’il ne satisfait pas les conditions pour avoir l’obligation de le faire.
3.2. La Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD) et la Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID)
Conformément aux articles 3 al. 1 à 3 LIFD et 3 al. 1 et 2 LHID, une personne physique est assujettie de manière illimitée à l’impôt, soit lorsqu’elle a son domicile en Suisse, soit lorsque, sans y exercer d’activité lucrative, elle y réside pendant 90 jours, sans interruption notable.
La création d’un domicile nécessite la réunion de deux conditions cumulatives : la personne concernée doit séjourner en Suisse, sans que la loi n’exige une durée minimale, avec une certaine constance, même de manière ininterrompue[16] ; elle doit avoir l’intention de s’établir durablement à son lieu de résidence. Quant à l’interprétation de la notion de « sans interruption notable », la doctrine et le Tribunal fédéral estiment que la condition de durée doit s’analyser « en bloc », c’est-à-dire, soit en une seule fois, soit au maximum en un petit nombre de « blocs », de courtes interruptions n’entrant pas en ligne de compte[17].
Vu que l’impôt d’après la dépense n’est qu’une forme particulière d’imposition illimitée du contribuable, il n’y a pas lieu d’exiger de la part de ce type contribuable, la réalisation d’autres conditions, tel, par exemple, le transfert des intérêts en Suisse. Cependant, comme le précise expressément l’Administration fédérale des contributions au chiffre 1.1 de sa Circulaire n° 9 du 3 décembre 1993 « la création d’un domicile fictif en Suisse exclut l’imposition d’après la dépense. Il n’est pas admissible non plus d’acquitter volontairement un impôt d’après la dépense sans que les conditions nécessaires ne soient réalisées ».
Par conséquent, pour avoir le droit d’être imposé à forfait dans notre pays, un ressortissant étranger, quel que soit sa nationalité, doit soit y être domicilié, soit y séjourner plus de 90 jours par an « en bloc ». Nous insistons sur le fait que la personne qui opterait pour la seconde solution risque fort d’être toujours considérée comme domiciliée dans l’Etat qu’elle prétend avoir quitté. En effet, les conventions de double imposition signées, notamment avec la Belgique[18], la France[19] et la Grande-Bretagne[20] prévoient que les critères à prendre successivement en considération pour déterminer le domicile fiscal d’un contribuable sont le foyer d’habitation permanent, le centre des intérêts vitaux, le lieu de séjour habituel et la nationalité. Or, un forfaitaire ne vivant que 90 jours en bloc en Suisse ne pourra pas démontrer qu’il a le centre de ses intérêts vitaux dans notre pays ou que celui-ci est son lieu séjour habituel.
4. La Loi fédérale du 16 décembre 1983 sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (LFAIE)
Il y a lieu enfin d’aborder le cas particulier du ressortissant étranger qui, en s’installant dans notre pays, ne souhaite pas louer, mais acheter un bien immobilier[21].
Quelque soit sa nationalité, un ressortissant étranger peut acheter un bien immobilier destiné à l’habitation, hormis le cas des résidences secondaires et des biens situés dans une zone touristique, s’il est domicilié de manière légale et effective en Suisse (art. 2 al. 2 lit. b et art. 5 al. 1 lit. a LFAIE) au sens du droit civil (art. 2 et 5 al. 1 de l’Ordonnance du 1er octobre 1984 sur l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger (OAIE)). A titre de rappel, l’article 23 CC stipule qu’une personne a son domicile au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir (al. 1) et que nul ne peut avoir en même temps plusieurs domiciles (al. 2).
Cependant, un ressortissant européen est libre d’acheter, sans aucune restriction, tout bien immobilier (art. 5 lit. 1 LFAIE). En revanche, un ressortissant étranger originaire d’un Etat tiers ne peut acquérir que sa résidence principale (art. 2 al. 2 lit. b LFAIE) aussi longtemps qu’il n’est pas titulaire d’un permis C (art. 5 lit. abis LFAIE).
5. Conclusion
Pour conclure, la situation peut être résumée de la manière suivante :
a) Le forfaitaire qui achète un bien immobilier doit créer un domicile légal et effectif en Suisse quels que soient sa nationalité et le titre de séjour dont il dispose.
b) Le titulaire d’un permis C, européen ou non, doit avoir son centre d’intérêts dans notre pays. Son autorisation d’établissement prend fin s’il passe plus de six mois consécutifs à l’étranger, des séjours en Suisse à des fins de visite, de tourisme ou d’affaires n’interrompant pas ce délai.
c) Le ressortissant d’un Etat tiers disposant d’une autorisation de séjour doit transférer en Suisse le centre de ses intérêts et y passer la majeure partie de son temps. Des exceptions à cette seconde condition peuvent être admises pour des personnes appelées à se déplacer fréquemment à l’étranger, tels les artistes ou les sportifs. L’autorisation de séjour d’un non-européen prend fin aux mêmes conditions que celles mentionnées ci-dessus à la lettre b).
d) Le ressortissant européen bénéficiant d’une autorisation de séjour au sens de l’article 24 de l’Accord n’a l’obligation, ni de transférer le centre de ses intérêts en Suisse, ni d’y séjourner un nombre minimum de jours par année. Son autorisation de séjour prend fin s’il passe plus de six mois consécutifs à l’étranger. Ce délai est interrompu par de brefs retours en Suisse.
e) Afin de pouvoir être imposé en Suisse, notamment d’après la dépense, le contribuable doit, soit y être domicilié, soit y passer 90 jours par an « en bloc ». En vertu de cette seconde possibilité éclairée par les principes mentionnés à la lettre d) ci-dessus, un ressortissant européen, titulaire d’une autorisation de séjour, pourrait résider en Suisse du 15 décembre au 15 mars de l’année suivante, revenir sur sol helvétique du 1er au 15 août, puis recommencer un séjour « en bloc » de 90 jours dès le 15 décembre. Bien que cette manière de faire soit conforme à la législation helvétique, elle ne permet pas au forfaitaire de prouver en cas de détermination de son domicile fiscal, au sens des conventions de double imposition, que le centre de ses intérêts et son lieu de séjour habituel se trouvent en Suisse. Par conséquent, pour déterminer si une personne étrangère peut appliquer ce schéma, il importe d’établir le lieu où elle passe son temps lorsqu’elle est à l’étranger. Si elle séjourne les huit mois et deux semaines passées hors de Suisse dans le même Etat étranger, il y aura lieu d’admettre que son domicile fiscal se trouve dans ce dernier.
[1] Directives et commentaires – Entrée, séjour et établissement de l’Office Fédéral des étrangers (état au mois d’août 2000) (Directives OFE), ch.555. Les conditions à l’octroi d’une telle autorisation de séjour sont devenues plus strictes au fil des années. En effet, à la fin des années 90, les autorités fédérales n’exigeaient pas que l’intéressé ait des liens avec la Suisse et acceptait qu’il conserve une activité lucrative entière à l’étranger. Par ailleurs, il était également possible pour un ressortissant étranger ne remplissant pas les conditions de l’article 36 OLE de créer une société et de solliciter une autorisation de séjour et de travail annuelle en application l’article 14 OLE, sans s’octroyer de salaire, et de pouvoir ainsi bénéficier de l’imposition forfaitaire.
[2] Directives OFE, ch. 555.
[3] ATF 120 1b 369, 372.
[4] ATF 120 1b 369, 373.
[5] Cf. 2.4.
[6] Cf. 2.3.
[7] Directives et commentaires ODM I (état au 1er juillet 2009) (Directives ODM I), ch. 3.3.4, 5.3 et 5.5.1.
[8] Directives ODM II, ch. 3.3.4.
[9] Les dispositions relatives au droit de séjour sont applicables à tous les ressortissants d’un Etat membre de l’Association européenne de libre-échange ou de l’Union Européenne (Directives et commentaires II de l’ODM (état au 1er juin 2009) (Directives ODM II), ch. 8.1).
[10] Directives ODM II, ch. 8.2.1.
[11] Directives ODM II, ch. 12.2.4.
[12] PE.2009.0395.
[13] Cf. notamment Peter Uebersax, Einreise und Anwesenheit, in Ausländerrecht, 2ème édition, Bâle 2009, p. 282.
[14] Directives ODM II, ch. 12.2.4.
[15] Cf. 2.3.
[16] Jean-Blaise Paschoud, in Impôt fédéral direct, Commentaire Romand, Bâle 2008, p. 78 et 79.
[17] Arrêt du Tribunal fédéral du 8 novembre 2007 (2C_303/207) et la doctrine citée.
[18] Art. 4 par. 2 de la Convention du 28 août 1978 entre la Confédération suisse et le Royaume de Belgique en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.
[19] Art. 4 par. 2 de la Convention du 9 septembre 1966 entre la Confédération suisse et la République française en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune.
[20] Art. 4 par. 2 de la Convention du 8 décembre 1977 entre la Confédération suisse et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu.
[21] Cf. ci-dessous l’article de François Bianchi, Acquisition d’un bien immobilier en Suisse par un ressortissant étranger sans activité lucrative.